Les analyses des effluents produits par la ferme crevetticole durant un cycle d’élevage ont confirmé qu’ils sont principalement composés de matière organique (MO), dissoute et surtout particulaire. Celle-ci est principalement composée de micro-algues se développant au sein du bassin, d’une partie de la nourriture qui n’est pas assimilée par les crevettes et de bactéries. Les rejets directs depuis les buses sont en partie sédimentés sur les abords du chenal principal de la mangrove dans des zones non végétalisées, mais également sur l’ensemble de la mangrove, contrôlée par les courants de marée. Malgré une sédimentation importante de la MO, les eaux de surface qui sortent de la mangrove et arrivent dans le lagon à marée descendante, présentent un enrichissement en nutriments et en MO, lié aux effluents lorsque la ferme est en fonctionnement.
L’apport des effluents entraine une homogénéisation de la nature de la MO à la surface des sédiments de la mangrove, avec un accroissement des concentrations en MO labile, résultant d’une part du dépôt des effluents, et d’autre part du développement des communautés microbiennes autochtones (principalement des ascomycètes et des bactéries, ainsi que des micro-algues), dont le développement se trouve stimulé par la disponibilité accrue en nutriments. Les processus de minéralisation sont accentués, entrainant une dégradation efficace de la litière dans les zones végétalisées. Dans les zones non végétalisées, situées devant les sorties des bassins, la sédimentation des particules solides organiques des effluents engendre des processus de minéralisation accrus s’accompagnant d’une demande importante du sédiment en oxygène. Le sédiment y est alors une source de phosphore et d’azote inorganique dissous pouvant alimenter les eaux de surface de la mangrove. Les processus de réduction bactérienne du nitrate sont stimulés, mais l’azote est en majorité recyclé sous forme inorganique et conservé au sein de l’écosystème. Les processus de dégradation et de recyclage accrus en surface des sédiments augmentent la disponibilité en nutriments permettant un développement accentué des palétuviers et de leur système racinaire. L’apport des effluents semble également augmenter la colonisation des crabes du genre Uca.
La position intertidale, la teneur en MO, ainsi que la capacité d’oxygénation de la rhizosphère et de la macrofaune benthique, contrôlent les conditions redox de ces sédiments et entrainent des environnements biogéochimiques benthiques spécifiques dans chacune des strates végétales. Les contrastes des conditions redox entre les zones de végétations sont accentués dans la mangrove anthropisée. La nature de la MO et les processus de dégradation ne sont que peu modifiés dans les sédiments de la zone colonisée par les Rhizophora, du fait de leur teneur initiale en MO forte, de leur balayage quotidien par les marées. Par contre, les sédiments sous les zones de végétations à Sarcocornia et à Avicennia sont étonnamment moins réduits que dans la zone témoin malgré un apport de MO plus conséquent en surface des sédiments, du fait de l’exacerbation du potentiel bioturbateur des palétuviers et de la macrofaune benthique. La dégradation de la MO dans les sédiments des zones colonisées par les palétuviers semble être rapidement suivie de l’absorption du phosphore et de l’azote inorganique par leurs systèmes racinaires.
Enfin, le fait que les sédiments de surface s’enrichissent en MO labile avec un stock plus important en micro-algues et en bactéries conduit le gastéropode Terebralia palustris vers une consommation accrue de ces sources, au détriment de la litière composée de débris de palétuviers, sur lesquelles il aura tendance à moins se nourrir.