Le présent travail est une synthèse originale des connaissances accumulées ces deux dernières décennies sur la biologie et l’écologie du bec de cane, Lethrinus nebulosus (Forsskål), en Nouvelle- Calédonie, agrémentée de données nouvelles sur la génétique de ses populations, afin d’établir les bases biologiques de la gestion rationnelle de cette ressource.
Les becs-de-cane ont été capturés dans les lagons nord et sud-ouest de la Grande Terre et à Ouvéa, essentiellement à l’aide de lignes à main, à la palangre, par chalutage et par empoisonnement à la roténone. Un total de 2975 poissons ont été disséqués pour obtenir des informations sur leur taille, poids, sexe et alimentation. La longueur des mâles était en moyenne inférieure de 5 cm à celle des femelles. La taille maximale observée a été 69.5 cm et le poids maximal, 5.5 kg. A Ouvéa les tailles étaient inférieures à celles observées dans le lagon sud-ouest ou la Province Nord. La taille moyenne des becs-de-cane augmentait avec la distance à la côte, la profondeur et les teneurs en coraux ou en fonds durs, mais diminuait avec la couverture algale.
Les tailles maximales ont été observées à 30-40 m de fond. A longueur égale, les individus étaient moins gros en Province Nord qu’à Ouvéa ou dans le lagon sud-ouest. Le poids à longueur donnée était plus grand entre mai et juillet, soit avant la période de reproduction. La croissance était quasiment linéaire, jusqu’à la première reproduction, vers 4-5 ans. Dans le lagon sud-ouest les becs-de-cane consommaient davantage de poissons, crustacés et échinodermes, et davantage de mollusques à Ouvéa et en Province Nord. Le régime alimentaire variait en fonction de la taille mais de façon hétérogène suivant la région. La proportion d’estomacs pleins diminuait en septembre-octobre, c’est-à-dire durant la période de reproduction. La sex-ratio était d’environ 58% de femelles et augmentait avec la taille (70% de femelles pour LF > 60 cm), ceci étant variable selon la région. La première reproduction avait lieu entre 35-45 cm et semblait plus précoce à Ouvéa.
L’analyse du polymorphisme génétique d’échantillons de becs-de-cane du lagon nord, d’Ouvéa et du lagon sud, au locus mitochondrial (séquences nucléotidiques de la région de contrôle et SSCP d’un fragment de l’ADNr 16S) et à trois locus introniques, n’a permis de détecter aucune hétérogénéité à cette échelle spatiale. Les différences biologiques et écologiques observées entre ces trois zones relèveraient donc de la plasticité phénotypique, mais celles-ci permettent néanmoins de distinguer trois stocks.
Les captures en nombre, poids ou proportion des prises totales étaient plus importantes à Ouvéa ; celles à la palangre étaient plus importantes dans le lagon sud-ouest qu’en Province Nord ; celles au chalut ont montré l’absence de juvéniles sur les fonds meubles mais les captures à la roténone et les observations visuelles en plongée ont montré l’importance des herbiers, algueraies et petits fonds détritiques pour les jeunes. Les densités et biomasses du bec de cane représentent moins de 1% des espèces observées en plongée, sauf sur les fonds de lagon où leur biomasse représente 3.5% du total. Les stocks de bec de cane seraient d’environ 10 000 tonnes pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie et Iles Loyauté (sans les Chesterfield). Cette espèce est vraisemblablement surexploitée dans les zones les plus peuplées (lagon sud-ouest, côte ouest).